Des bottines bien sales

*Splatch* *Sploutch* *Splatch*

Les poulaines de la fillette, gorgées de boue, collaient avec un bruit de sucion sur le sol du hall.

_Va, débrouille-toi, lui avait dit le marchand en la jetant de la carriole, non loin de l’édifice.

La nuit était déjà tombée, et la petite fille s’était relevée et avait marché jusqu’à la grand porte, attirée par la lumière vacillante qui éclairait quelques fenêtres. En bonne fille qu’elle était, elle avait préféré crocher la serrure plutôt que de frapper à une heure si tardive, sachant qu’on l’aurait battue pour un réveil si prématuré.

Mais maintenant qu’elle était là, elle se disait que, finalement, elle aurait peut-être dû alerter quelqu’un de sa présence. Elle ne savait trop où aller, bien que la chaleur ambiante de la grand salle était préférable au froid nocturne. De sa main valide, elle gratta la plaie de son moignon par-dessus les bandes de coton. Cela la démangeait terriblement.

*Sploutch* *Splatch* *Sploutch*

Elle eut encore le temps de salir allègrement le sol, avant de commencer à réfléchir sur ce qu’elle allait faire à présent. Mais un bâillement s’échappa de sa bouche, créant un son nasillard qui retentit entre les murs de la salle.

Le Rat repassa par le hall pour rejoindre les jumeaux dont ses rats lui avaient "parlé"...quelle ne fut pas sa surprise de tomber sur une nouvelle jeune fille toute trempée et grelottante...Il essaya de se donner un air gentil pour ne pas l'effrayer mais bon...hein...il est comme il est!

-Bonjour toi, petite humaine... Qui es-tu? Tu viens nous rejoindre? A la façon de la plupart des orphelins il me semble lorsque je vois l'état de la serrure... Je me présente: je suis le Rat, professeur pour les plus grands de l'école...

Il toisa la fille...

-Bon je crois que tu as besoin de mettre des habits propres et secs et peut-être de manger...Tu viens? Nous allons d'ailleurs chercher d'autres nouveaux élèves...enlève tes bottes, tu saliras bien moins!...et suis-moi...

La gamine fronça le nez. Au premier abord, elle avait semblé effrayée en voyant la tête de l’inconnu. Mais il n’alla pas vers elle, attendant simplement qu’elle approche d’elle-même. À ce stade, elle hésitait encore à fuir, mais le ton de la voix de celui qui se faisait appeler Le Rat ne se voulait pas brutal…

Elle resta à le scruter, la bouche formant un ‘o’ précaire… Pourquoi ne la battait-il pas ? Puis, elle réagit enfin lorsqu’il parla de manger. Hildegarde s’assit au sol afin de retirer ses poulaines, pas assez habile pour tenir d’elle-même en équilibre. Lorsque les chausses furent orphelines des pieds de la fillette, une vague odeur incommodante monta dans l’air.

*Splitch…*

Les chausses s’égouttaient encore de la substance boueuse, à croire qu’elles en recelaient une quantité intarissable. Hildegarde les serra contre sa poitrine, soucieuse de ne pas tâcher d’avantage la pièce. Son gilet en paya les frais.

Elle s’approcha à nouveau de celui qu’elle prenait à présent pour son nouveau maître, restant à une distance raisonnable, prête à le suivre.

Hildegarde scruta en silence les deux grands garçons apparus dans les escaliers. Mais très vite, son attention dévia. Intriguée par les petites bestioles moustachues qui se donnaient en spectacle, la gamine s’accroupit pour tenter d’en attraper une. À son grand dam, le rat lui fila entre les doigts. Manifestement, elle n’avait pas la cote auprès des animaux, ce qui n’était pas pour l’enchanter…

Elle se releva à l’injonction de son maître, serrant ses poulaines contre elle. Elle regarda tour à tour les garçons et Le Rat, n’ayant pas suivi la conversation :

_Mais c’est quoi un bain ?

-Un bain? Ben un grand récipient rempli d'eau chaude et de savon où tu te plonges pour te laver, te détendre...jamais vu ça hein?
je vais te montrer et après si tu as été sage, je te laisserai jouer avec les rats...

Se disant, il prit l'un de ses compagnons et le posa sur l'épaule de la fillette en lui faisant un clin d'oeil...

le Rat commença à remonter les escaliers direction les dortoirs, espérant que les 3 enfants le suivaient, ses rats montrèrent l'exemple...

Hildegarde comprenait à peu près de quoi voulait parler le Rat. Cela avait sûrement un rapport direct avec le fait qu’on la traitait souvent de « Tupu ». Mais pour autant qu’elle sache, ses propriétaires ne s’étaient jamais plaints de sa tenue jusque là.

_Non, je connais pas le b….

La fillette interrompit sa phrase alors que le grand homme posait un rat sur son épaule. Sa bouche, à nouveau, formait un léger ‘o’ de stupeur. Rapprochant son doigt de la bête, elle tenta de la caresser. Mais cette dernière ne cessait de bouger fébrilement, les moustaches frémissantes et les yeux alertes, à l’affût d’une échappatoire. Ses griffes s’accrochaient à son gilet de laine déjà amplement troué, disposant de prises efficaces pour entamer son évasion. Le rat suivit ses comparses dans l’escalier, tandis qu’Hildegarde émettait une grimace de désappointement. Faisant de même, elle continua son ascension vers les étages supérieurs, jetant au passage un regard furtif aux jumeaux.

Le Rat lisait la suspicion dans les pensées des jumeaux...il envoya des ondes positives et de confiance vers eux...
Il vit également que Virgule, la rate qu'il avit mis sur l'épaule d'Hildegarde était redescendue de la jeune fille...

-Retourne auprès d'elle et laisse-toi câliner, mets-là en confiance s'il te plait

Virgule fit demi-tour aussitôt et vint quémander pour remonter sur la jeune fille...elle se mit sur les pattes arrières et fit vibrer ses moustaches vers Hildegarde, prenant un air de petite peluche et espérant être adoptée par la petite humaine...

Le Rat envoya par la pensée à Sheena:

-Il faut rassembler tous les enfants pour leur parler des cours et mettre en branle l'école...je vais installer les 2 jumeaux et la petite puis on les réunit dans la salle à manger? Autour d'un bon repas pour tous?

-Melessè… Teviè…, répéta la gamine en fixant son interlocuteur.

Elle regardait ces deux jeunes elfes avec insistance depuis un moment, comme face à des créatures inconnues et répugnantes. Il lui avait été rare de voir des elfes jusque là, habituée qu’elle était à côtoyer ses propriétaires orcs. Mais le plus étrange, dans tout ça, était leur étrange ressemblance. C’était louche, tout ça…
Mais elle se fendit d’un large sourire quand le garçon lui demanda son nom, cela était tellement rare !

-Je m’appelle Hildegarde. C’est mon nom, Hildegarde, insista-t-elle pour ne pas qu’il l’oublie. Tu peux m’appeler Hildegarde si tu veux, j’aime bien. Mon bras? Il a tombé la main.

À nouveau son attention dévia sur le couinement d’un rat qui redescendait vers elle. La bête s’arrêta à sa hauteur, hissée sur ses pattes arrière. Ne se sentant plus de joie, la fillette empoigna l’animal, avec la délicatesse d’un soiffard saisissant une chopine en pleine ripaille. Le serrant entre les doigts de son unique main, elle gratouilla le cou velu du rat du bout de son index, avec une vigueur tout à fait affective.

-Tout le monde au bain ! Tout le monde au bain ! Tout le monde au bain !!

Gesticulant jovialement, le rat à bout de bras, elle en oublia sa paire de chausses coincées sous son bras mutilé, qui glissa au sol. Elle se pencha dans les escaliers pour les récupérer, et entreprit de flanquer le rat dans l’une d’elle. C’était plus pratique à porter, pensait-elle.